Twitter, Facebook : superposition d’amis et logiques opportunistes de prĂ©sence en ligne ?
« La DĂ©mocratie Internet, Promesses et limites », câest le titre dâun essai du sociologue Dominique Cardon (Orange Labs) paru en septembre 2010 au Seuil (collection La RĂ©publique des IdĂ©es). Lâauteur y dresse un historique de lâInternet en s’intĂ©ressant d’abord aux pratiques des publics (pionniers, codeurs/dĂ©veloppeurs, grand publicâŠ), le(s) pouvoir(s) recouverts par le Web et les types dâorganisations collectives en ligne : Quelle(s) politique(s) sur Internet ?
Dans ce cadre, une analyse consĂ©quente de lâinternet aujourdâhui est posĂ©e sur le sujet de la prĂ©sence en ligne sur les rĂ©seaux sociaux : Satisfait-elle une logique opportuniste ? Comment dĂ©crypter et caractĂ©riser lâidentitĂ© et les contenus dĂ©clinĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux (Twitter, FacebookâŠ) comme un enchevĂȘtrement de liens et de superpositions dâ « amis » :
« Des plateformes (rĂ©seaux sociaux ou mĂ©dias sociaux) se caractĂ©risent par lâimportance du nombre de contacts et par des rĂ©seaux dâĂ©change beaucoup plus divers, surprenants et distendus que ceux qui sâobservent dans la vie rĂ©elle. Mais, sur ces plateformes, les participants construisent diffĂ©remment leur identitĂ©. Ils y exposent moins leur vie privĂ©e que leurs passions, leurs pratiques amateurs et leurs centres dâintĂ©rĂȘt, comme sur MySpace, FlickR, Twitter ou DailyMotion.
Pour Ă©largir leur visibilitĂ©, les utilisateurs doivent, Ă la maniĂšre de micromĂ©dias, exposer des contenus autoproduits qui donnent une coloration particuliĂšre Ă leur identitĂ©. De nombreux outils du web social ont Ă©tĂ© conçus pour permettre dâĂ©tendre leur conversation vers des espaces relationnels auxquels ils ne pourraient pas accĂ©der dans leur vie quotidienne. Lorsquâils affichent leurs goĂ»ts, commentent les Ă©crits dâun autre, notent les commentaires ou les musiques, relaient un lien vers une information, les internautes Ă©largissent leur zone de visibilitĂ© et peuvent ainsi allonger leur rĂ©seau conversationnel. Ils accĂšdent Ă un public beaucoup plus hĂ©tĂ©rogĂšne gĂ©ographiquement, socialement et culturellement, que celui de leur environnement proche.
A la maniĂšre des poupĂ©es russes, les utilisateurs du web social composent donc le pĂ©rimĂštre de leur public par extensions successives. DiffĂ©remment selon les plateformes, ils articulent liens forts (famille, amis proches), ex-liens forts (amis et amours retrouvĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux), liens contextuels (collĂšgues, amis du club sportif ou de la chorale), liens dâopportunitĂ© (connaissances vagues ou connaissances de connaissances) et liens virtuels (personnes rencontrĂ©es sur le net qui partagent avec eux quelque intĂ©rĂȘt commun). Bien que tous soient loin dây cĂ©der, une pression continue sâexerce sur les utilisateurs afin quâils Ă©tendent leurs connexions en mĂȘlant aux « vrais » amis, des amis « intĂ©ressants », des amis « utiles », des amis « spĂ©cialisĂ©s » ou des amis « ressources ». Cette course aux amis est stimulĂ©e par le compteur qui, sur leur page Facebook ou autre, offre une nouvelle mĂ©trique de soi aux individus en quĂȘte de rĂ©putation. Les utilisateurs aiment souvent moquer ces « amis qui nâen sont pas », afin de valoriser la seule amitiĂ© vĂ©ritable et authentique de quelques Ă©lus. Il nâen reste pas moins que ces relations de voisinage, de proximitĂ©, de seconde main ou de simple connaissance jouent un rĂŽle dĂ©cisif dans de nombreux aspects de leur vie sociale (âŠ)
La quĂȘte dâune visibilitĂ© Ă©largie sur le web social introduit une logique opportuniste, voire calculatrice, au sein de la sociabilitĂ© vĂ©cue. Mais il faut surtout y avoir un Ă©largissement et une diversification des sphĂšres dâintĂ©rĂȘt au travers desquels les individus construisent leur identitĂ©. Si les utilisateurs prĂ©fĂšrent sâexposer dans des espaces ouverts ou semi-ouverts, plutĂŽt que de fermer leur espace conversationnel dans un huit clos rĂ©confortant, câest parce que la construction de leur identitĂ© passe par la reconnaissance de publics plus variĂ©s et plus divers quâautrefois. Lâouverture du rĂ©seau social vers la nĂ©buleuse des inconnus partageant des intĂ©rĂȘts communs favorise une exploration curieuse du monde tout en multipliant les possibilitĂ©s de paraĂźtre singulier Ă ses proches.
Câest pourquoi les internautes assouplissent les frontiĂšres de leur personne en faisant varier, sur une Ă©chelle allant du personnel au public, les propos quâils tiennent devant les autres. Sur leur blog, leur page Facebook ou leur fil Twitter, ils publient tantĂŽt des choses gĂ©nĂ©rales qui peuvent susciter lâintĂ©rĂȘt de personnes moins proches. Cette oscillation systĂ©matique entre « petite » et « grande » conversation, moqueries et commentaires politiques, sous-entendus personnels et informations dâactualitĂ© permet de mettre en scĂšne la diversitĂ© de leurs attachements. Elle fait respirer les contours de lâindividu. »
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