Internet et la culture des amateurs : un fait majeur
Dans lâĂ©dition du Nouvel Observateur datĂ©e du 16 dĂ©cembre 2010, lâhebdomadaire a proposĂ© un dĂ©bat Ă deux voix intitulĂ© : « Qui a peur dâInternet ? » avec Patrice Flichy (Professeur de Sociologie Ă lâUniversitĂ© de Marne-la-VallĂ©e) et Dominique Cardon (Sociologue au laboratoire des usages dâOrange et professeur associĂ© Ă lâEHESS).
Les deux chercheurs analysent les atouts et les dangers de lâĂšre numĂ©rique mais aussi les dĂ©fis de l’agora et de l’expression sur le Web (en Ă©cho notamment de Wikileaks).
Extrait de cette entrevue avec la parole de Dominique Cardon sur la question de la rĂ©gulation dâInternet.
« Internet est nĂ© de cette idĂ©e de contourner les Etats et de sâautorĂ©guler. Mais, depuis, beaucoup de rĂ©gulations se sont mises en place. La CNIL française et les CNIL europĂ©ennes, par exemple, ont engagĂ© un rapport de force avec Google Ă propos du temps excessif de rĂ©tention des enquĂȘtes des internautes. Google traĂźne les pieds, mais progressivement Ă©volue. Ce qui est trĂšs particulier dans ce dĂ©bat sur la rĂ©gulation, câest que, dĂšs quâon donne Ă la sociĂ©tĂ© civile des pouvoirs dâexpression et de coordination autonome, on a lâimpression quâentre lâEtat et le marchĂ©, il nây a pas dâespace.
Or ce qui est en train de sâinventer â et câest trĂšs prĂ©cisĂ©ment dans la culture des amateurs -, câest lâidĂ©e dâun troisiĂšme modĂšle. Il y a bien une sociĂ©tĂ© civile qui sâauto-organise, qui produit des biens communs. Il y a des formes dâassociation dans lesquelles on nâest pas obligĂ©, pour remplir des services pour le public (WikipĂ©dia ou le logiciel libre), de passer par le marchĂ© ou lâEtat.
Cette auto-organisation est encore trĂšs fragile et imparfaite mais elle monte en puissance. La promesse de lâautorĂ©gulation dâInternet, câest aussi quâĂ la diffĂ©rence de lâespace public et des mĂ©dias traditionnels, le filtrage des informations nâest pas fait a priori mais a posteriori par les internautes. Donc internet nâest pas cette vaste poubelle dĂ©noncĂ©e. Tout y est effectivement accessible, tout et nâimporte quoi, ce qui fait que nâimporte quel journaliste qui voudra lancer une rumeur sans lâassumer pourra dire : « Je lâai trouvĂ©e sur Internet » et, en la rendant publique, lui donnera du crĂ©dit. Mais ce que font les internautes et quâessaie de faire le PageRank (systĂšme de classement) de Google, câest prĂ©cisĂ©ment de dire : « En citant une information ou un site, je vote pour lui, et en votant pour lui je lui donne plus de visibilitĂ©. » Collectivement, les internautes produisent une crĂ©dibilitĂ© commune, parce que lorsquâils communiquent ils sont gĂ©nĂ©ralement trĂšs vigilants pour se critiquer mutuellement sur la vĂ©racitĂ© de lâintĂ©rĂȘt des informations.
Cette production de la visibilitĂ© par les internautes est une maniĂšre de contester lâidĂ©e que les journalistes ou les Ă©diteurs sont les seuls « gatekeepers », dĂ©cidant pour nous de la qualitĂ© de lâinformation et du partage entre lâofficiel et le secret. Le « gate keeper », câest le douanier, le portier, celui qui va produire lâagenda de la hiĂ©rarchie de lâinformation. Sur Internet, beaucoup dâinformations sont accessibles, mais le travail de filtrage et de sĂ©lection est opĂ©rĂ© par les Ă©changes entre internautes. »
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