Que veut dire être « ami » sur un réseau social (Facebook, Twitter…) ?
L’excellent magazine Books (désormais mensuel) fait sa une du mois d’octobre 2010 sur les réseaux sociaux : « Facebook, MySpace, Twitter : 500 millions d’amis » avec un passionnant dossier sur cette thématique ; numéro que j’ai présenté il y a quelques jours de façon synthétique via cet article.
Au sein de ce dossier, un remarquable article qui dresse un historique de la notion d’amitié en Occident : «Amis», vous avez dit « Ami » ? (par William Deresiewicz, The Chronicle of Higher Education) ici en version anglaise : « Faux Frienship ».
La fin de ce papier publié en français dans Books pose une critique argumentée de ce qu’on entend par un « ami » sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, MySpace…), un regard où l’auteur s’interroge sur un flot ininterrompu de futile et d’éphémère et sur une taille des messages échangés qui ne cesse de rétrécir ; extrait :
« (…) Facebook offre une possibilité utopique : retrouver maintenant ce qui a été perdu autrefois. Mais le paradis du passé est une terre promise qui se désintègre quand on l’aborde. Facebook fait figure ici d’anti-madeleine, d’effaceur de mémoire. Proust savait que la mémoire est une créature capricieuse qui ne surgit qu’au moment où l’on s’y attend le moins. Les bibelots, les photographies, les réunions de retrouvailles, et maintenant ces nouveaux modes d’amnésie sont les ennemis de la véritable mémoire. Le passé devrait rester dans le cœur, à la place qui lui revient.
Enfin, les nouveaux sites de réseaux sociaux ont falsifié jusqu’à notre compréhension de l’intimité et, avec elle, notre compréhension de nous même. Les médias colportent l’idée absurde selon laquelle un profil MySpace ou des listes du type « 25 choses sur moi », peuvent nous en apprendre plus sur une personne que ce que même un ami proche serait en mesure de savoir ; voilà qui repose sur une série de notions stériles sur ce que signifie connaître quelqu’un. D’abord, l’idée que l’intimité relève de la confession – idée chère à la fois aux Américains et aux jeunes, peut-être parce que ces deux catégories aiment voyager avec des inconnus et tendent à considérer que s’épancher est la voie d’accès la plus rapide à la familiarité. Ensuite, l’idée que l’identité est réductible à l’information : le nom de votre chat, votre Beatles favori, la chose stupide que vous avez faite en 5e. Troisièmement, que ladite identité est plus particulièrement réductible au type d’information qui intéresse au premier chef les sites de réseaux sociaux, c’est-à-dire les habitudes de consommation. Nous faisons tous des études de marché sur nous-mêmes, mais Facebook fait bien pire : il amplifie cette tendance déjà ancienne à nous représenter exactement en ces termes. Nous portons un tee-shirt qui clame notre fidélité à une marque, nous nous piquons de posséder un Mac, et dressons désormais des listes de nos chansons favorites. « Quinze films en quinze minutes. La règle : ne pas y réfléchir trop longtemps. »
L’information remplace l’expérience comme dans tous les domaines de notre culture. Pourtant, quand je pense à mes amis, à ce qui en fait ce qu’ils sont et ce pourquoi je les aime, ce ne sont pas les noms de leurs frères et sœurs qui me viennent à l’esprit, ni leur hantise des araignées. Ce sont leurs qualités d’âme. C’est la générosité de celui-ci, la droiture de celui-là, l’humour noir d’un troisième. Encore ces descriptions ne vont-elles guère plus loin que de dire qu’il a les cheveux roux ou qu’il est grand. Pour comprendre à quoi il ressemble vraiment, il faudrait que l’on vous parle de ce qu’il a fait. Le personnage révélé par l’action : les deux éléments éternels de la narration. Pour connaître les gens, il faut écouter leur histoire.
Mais c’est précisément ce pour quoi la page Facebook ne laisse pas de place, ni 500 amis, le temps. L’e-mail avait déjà restreint la volume de la lettre à un certain maximum acceptable, peut-être un millier de mots. Avec Facebook, la boîte rétrécit encore plus, réduisant à nouveau la limite conventionnelle d’un message à peut-être un tiers de cette longueur. Et nous savons tous ce qu’il en est de Twitter (qui limite tout message à 140 signes). La missive de 10 pages a été reléguée au rayon des antiquités, bientôt suivie semble-t-il par la conversation de 3 heures. L’une et l’autre étaient des espaces pour raconter des histoires, un acte qui peut difficilement être accompli en beaucoup moins de temps (…)
On ne les appelle pas réseaux sociaux sans raison. Entretenir son réseau signifiait autrefois une chose précise : faire le tour de ses contacts professionnels dans le but de faire avancer sa carrière. La vérité est que Hume et Smith n’avaient pas tout à fait raison. La société mercantile n’a pas éradiqué la dimension intéressée de l’amitié, elle a seulement changé notre façon de nous y prendre. Aujourd’hui à l’heure du moi entrepreneurial, même nos relations les plus intimes s’inscrivent dans ce cadre. (…) »
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